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La gnose et le gnosticisme, la théosophie et le théosophisme,

C'est un fait que trop d'auteurs - nous dirons presque : l'opinion générale - attribuent à la gnose ce qui est propre au gnosticisme et à d'autres contrefaçons de la sophia perennis et, en outre, ne font aucune distinction entre celle-ci et les mouvements les plus fantaisistes, tels le spiritisme, le théosophisme et les pseudo-ésotérismes qui ont vu le jour au XXe siècle. Il est particulièrement regrettable que ces confusions soient prises au sérieux par la plupart des théologiens, qui ont évidemment intérêt à avoir de la gnose la plus mauvaise opinion possible ; or le fait qu'une imposture imite forcément un bien, sans quoi elle n'existerait pas, ne saurait autoriser à charger ce bien de tous les péchés de l'imitation.

En réalité, la gnose est essentiellement la voie de l'intellect et, partant, de l'intellection ; le moteur de la voie est avant tout l'intelligence, non la volonté et le sentiment, comme c'est le cas dans les mystiques monothéistes sémitiques - y compris le soufisme moyen. La gnose se caractérise par son recours à la métaphysique pure : distinction entre Âtmâ et Mâyâ et conscience de l'identité potentielle entre le sujet humain, jîvâtmâ, et le Sujet divin, Paramâtmâ. La voie comporte, d'une part, la "compréhension" et, d'autre part, la "concentration"; donc la doctrine et la méthode....

Quant au gnosticisme, qu'il se produise en climat chrétien, musulman ou autre, c'est un tissu de spéculations plus ou moins délirantes d'origine souvent manichéenne et c'est une mythomanie qui se caractérise par un mélange dangereux de concepts exotériques et ésotériques. Sans doute, il y a là des symbolismes qui ne manquent pas d'intérêt - le contraire serait étonnant - mais on dit que "le chemin vers l'enfer est pavé de bonnes intentions", on pourrait dire tout autant qu'il est pavé de symbolismes. (Avoir un centre, p. 66, chapitre La gnose n'est pas n'importe quoi).

Pour trop de personnes, le gnostique est l'homme qui, se sentant illuminé par l'intérieur, non par la Révélation, se prend pour un surhomme et se croit tout permis ; on accusera de gnose n'importe quel monstre politique qui est superstitieux ou qui a de vagues intérêts occultistes tout en se croyant investi d'une mission au nom de telle philosophie aberrante. En un mot, dans l'opinion vulgaire, gnose égale "orgueil intellectuel", comme si ce n'était pas là une contradiction dans les termes, l'intelligence pure coïncidant précisément avec l'objectivité et celle-ci excluant par définition tout subjectivisme, donc notamment l'orgueil qui est la forme la moins intelligente et la plus grossière. (Racines de la condition humaine, p.24).

Le mot "gnose", qui apparaît dans ce livre comme dans nos précédents ouvrages, se réfère à la connaissance suprarationnelle - donc purement intellective - des réalités métacosmiques ; or cette connaissance ne se réduit pas au "gnosticisme" historique, sans quoi il faudrait admettre qu'Ibn Arabî ou Shankara aient été des "gnostiques" alexandrins... nous entendons le mot "gnose" exclusivement dans son sens étymologique et universel et de ce fait nous ne pouvons, ni le réduire purement et simplement au syncrétisme gréco-oriental de l'antiquité tardive(1), ni à plus forte raison l'attribuer à n'importe quelle fantaisie pseudo-religieuse ou pseudo-yoguique, ou même simplement littéraire(2). (Comprendre l'Islam, p.136-137).

(1) Si nous ne "réduisons" pas le sens du mot à ce syncrétisme, nous admettons pourtant, de toute évidence et pour des raisons historiques, qu'on appelle "gnostiques" aussi les hérétiques désignés conventionnellement par ce terme. Leur faute première était d'avoir mésinterprété la gnose en mode dogmatiste, d'où les erreurs et un sectarisme incompatibles avec une perspective sapientielle; toutefois le rapport indirect avec la gnose véritable peut justifier ici, à la rigueur, l'emploi du mot "gnostique".


(2) Comme on le fait de plus en plus depuis que les psychanalystes s'arrogent le monopole de tout ce qui est "vie intérieure", en mélangeant les choses les plus différentes et les plus inconciliables dans un même nivellement et un même relativisme.

Il convient de préciser ici une fois de plus ... la différence entre une hérésie qui est extrinsèque, donc relative à telle orthodoxie, et une autre qui est intrinsèque, donc fausse en soi et par rapport à toute orthodoxie ou à la vérité tout court. Pour simplifier la question, nous pourrions nous borner à relever que la première manifeste un archétype spirituel - d'une manière limitée sans doute mais néanmoins efficace - tandis que la seconde n'est qu'oeuvre humaine et par conséquent ne repose que sur ses propres productions (1) ; ce qui tranche la question. Prétendre qu'un spirite "pieux" est assuré du salut, n'a aucun sens, car il n'y a dans les hérésies totales aucun élément qui puisse garantier la félicité posthume, bien que - abstraction faite de toute question de croyance - un homme puisse toujours être sauvé pour des raisons qui nous échappent ; mais il ne l'est certainement pas par son hérésie. (Christianisme/Islam, Visions d'oecuménisme ésotérique, p. 36-37).

(1) Tel le mormonisme, le béhaïsme, l'ahmadisme de Kâdyân, et toutes les "nouvelles religions" et autres pseudo-spiritualités qui pulullent dans le monde actuel.

[Voir aussi le chapitre "La gnose n'est pas n'importe quoi" dans Avoir un centre, p. 67-70.]

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